De l’esprit des Etats (132)

On nous donne souvent en exemple, en particulier dans les JT de France 2, où officiait hier encore Mme Borloo, un certain nombre de pays où, évidemment, tout va bien mieux qu’en France. S’il est probable que la réalité soit toute autre –une vision tronquée est toujours la plus sure manière de faire dire tout à n’importe quoi- il me semble important d’étudier rapidement ici les devises que se sont donnés ces Etats, pour bien comprendre quel est leur idéal, leur esprit, pour reprendre la notion chère aux constitutions anglo-saxonnes d’une part et à Montesquieu d’autre part. Petite explication de textes:
-je ne m’intéresse ici qu’aux pays cités récemment en ‘modèle’ par les médias.-

France: Liberté Egalité Fraternité
Nous la connaissons tous, et beaucoup regrettent que notre quotidien ne s’en rapproche pas plus. Encore une fois, il s’agit d’un idéal vers lequel la nation tend. L’ordre dans lequel les termes sont proposés n’est en rien innocent: ces valeurs sont hiérarchisées.

US: In God We Trust
E Pluribus Unum” était la devise historique. En Latin, cela signifie “Un dans la multitude“. Cette maxime a pu prendre des sens différents: on peut la comprendre géographiquement, comme émergence d’un gouvernement fédéral émanant d’un groupe d’états divers, mais on peut également y voir une célébration de la chance donnée à chacun, si l’on comprend ce “un” issu de la masse comme le Président, choisi au suffrage universel (idée proprement révolutionnaire en 1776) On peut aussi y lire une référence à la diversité ethnique et culturelle des Etats-Unis.
En 1956, “In God We Trust” a remplacé “E Pluribus Unum“, et là, on change carrément de registre. Les Etats-Unis se placent alors sous l’autorité divine. La question, lors d’un changement, est toujours celle du ‘pourquoi’ et le ‘pourquoi’ en Histoire est toujours lié au ‘quand’. 1956 n’est pas une date anodine: on est alors en pleine ‘chasse aux sorcières’, c’est-à-dire en plein MacCarthisme. Les USA sont en prise à une profonde peur du Rouge, dont le signe le plus révélateur pour l’époque est son athéisme. Le pays se définit donc à travers son opposition à un ennemi extérieur, et a continuellement besoin d’un repoussoir, d’un “Axe du Mal”.

Union Européenne: In varietate concordia
Avec l’”Unité dans la diversité“, on rejoint assez clairement le “E Pluribus Unum” américain, en l’explicitant peut-être un peu. L’Union Européenne déclare ici puiser sa force dans la diversité, et non dans l’unanimité. L’Europe se sait diverse, et se revendique comme telle.

Un certain nombre de pays affirment en fait leur existence et leur indépendance dans leur devise. Ils parfois sont menacés par leurs voisins, comme l’Irlande, qui n’existe de manière indépendante que depuis relativement peu de temps: “Éire go deo” signifie: “l’Irlande toujours“.

Royaume-Uni: “God Save The Queen“, mais aussi “Dieu Et Mon Droit“. Dans l’un et l’autre cas, il est intéressant de noter la préeminence du chef d’Etat, à qui l’allégeance est affirmée par la devise nationale. Par ailleurs, dans l’une et l’autre, on note l’absence totale de référence à un idéal commun. Le seul point de ralliement est le roi ou la chrétienté. Pas d’Unité, pas de Fraternité, mais au contraire l’affirmation d’un individualisme fort.

Suède: la devise du roi actuel est För Sverige i tiden, “Pour la Suède, en notre temps“. On trouve ici un effet de balancier entre Passé et Avenir. “Pour la Suède“, comprendre pour son Histoire, “en notre temps“, dénote par ailleurs une volonté d’adaptation aux temps. L’idée est donc bien celle d’un chemin, d’une progression, mais tout en restant fidèle à “une certaine idée de la Suède”, qu’il n’est pas question de remettre en cause. Pas de modernisation à tout prix, donc.
Par ailleurs, la référence à la nation n’est pas anodine, ni exempte d’une dose de nationalisme, une fierté nationale revendiquée d’ailleurs par les Suédois. Il faut également noter qu’il s’agit là de la devise du roi Charles XVI Gustave, et qu’elle est donc amener à changer avec la succession. Une forme de rupture dans la continuité, en somme…

Allemagne: Einigkeit und Recht und Freiheit, “Unité et Droit et Liberté“. Voilà une devise qui semble assez proche de la nôtre, au premier abord. On y retrouve en effet l’idée de Liberté, si chère à la France. Mais à y regarder de plus près, les différences sont abyssales.
Il faut tout d’abord noter la référence première à l’Unité, qui rappelle que l’Allemagne est un Etat fédéral, contrairement à l’Etat Français, qui lui s’est construit sur un modèle centralisé (cf. Charlemagne, Napoléon) -affirmer alors avec France 3 que la France est en retard sur l’Allemagne en terme de décentralisation tient donc du contresens historique le plus primaire. Il y a donc oscillation permanente entre le central et le régional.
La deuxième référence est au Droit, on peut y voir plusieurs rappels historiques. Je pencherais pourtant pour une autre explication, provenant du contexte et de la proximité du terme Liberté. Le Droit serait alors à comprendre comme synonyme de ‘Loi’, permettant d’encadrer et de garantir la Liberté de chacun.
La Liberté, donc. Je parlais plus haut de l’importance que prend, dans une énumération, la place des termes. La Liberté, valeur première dans l’esprit de l’Etat Français, est ici en dernière position, ce qui soumet la Liberté aux principes d’Unité et de Droit.

Japon: “Paix et Progrès
Le Japon jouit de triste réputation en Europe et aux Etats-Unis, comme en Chine ou en Corée. Il est donc particulièrement frappant de le voir proclamer son attachement à la Paix. Il ne faut pas pour autant oublier le deuxième terme, qui d’après moi éclaire le premier. Le Progrès peut être compris de plusieurs manières:
Cela peut renvoyer à l’idée de parcours géographique, donc d’expansion sur la mer et les terres environnantes –cf. la guerre Sino-Japonaise?
Mais rien ne me permet de valider cette hypothèse au dépends de celle selon laquelle le «Progrès» ici mentionné serait un progrès social, qui aujourd’hui passe par la prépondérance économique mondiale. Les Pères Fondateurs de l’Europe entendaient canaliser les pulsions belliqueuses des Européens dans l’Economie de Marché, et l’agressivité japonaise en terme économique est aujourd’hui un véritable poncif. La “Paix géopolitique” aurait-elle pour pendant une “Guerre économique”?

Espagne: Plus Ultra, “Encore et au-delà“, cette devise date du règne de Charles Quint.
Une devise frappante, là aussi, surtout replacée dans son contexte historique. Charles Quint, Roi d’Espagne entre autres, fut à l’origine de guerres sanglantes en Europe, de la colonisation sauvage de l’Amérique Centrale et de la Grande Inquisition qui tenta de couper court à l’émergence du Protestantisme. Mais n’est-ce pas l’Espagne qui aujourd’hui montre la voie en matière, par exemple, de droit homosexuel? Cet “Encore et au-Delà” n’est-il pas celui d’une Liberté conquérante? N’est-ce pas le pendant du “No Passaran” devise des brigades internationales qui entendaient endiguer l’avancée fasciste? Ne s’agit-il pas de faire reculer les injustices plutôt que de les tenir en échec?
La devise espagnole est dynamique et volontaire, tournée vers l’Avenir, faisant fi des conservatismes, même déguisés en progrès.

Chine: “Compter sur ses propres forces
La devise Chinoise semble en contradiction avec sa politique actuelle d’ouverture –entre autres à l’économie de marché. Elle dénote en effet une volonté d’autarcie, peut-être même de repli sur soi. Pourtant, elle rend assez bien compte de la manière dont se fait la soi-disant ouverture du pays: pour soi, par ses propres forces. Il n’y a ici aucune référence à l’Autre d’aucune sorte, ni en tant qu’allié ni en tant que repoussoir. L’Autre est simplement évacué au profit d’un individualisme surprenant pour une Nation qui se réclame encore aujourd’hui d’une idéologie fondée sur le bien commun. La Chine est déterminée à parvenir seule aux objectifs qu’elle s’est fixée, et n’entend pas véritablement avoir dans cette démarche de partenaires, au sens où il pourrait s’établir un échange. Le développement chinois se fera dans un effort interne national, par ses seuls moyens, et en dépit de la communauté mondiale.

Voilà, chaque pays s’étant doté d’un Idéal différent, il est peu probable qu’un quelconque modèle soit transférable. Si certaines idées fonctionnent à certains endroits, c’est qu’elles sont en accord avec l’esprit du lieu, et les Américains considèrent comme une profonde atteinte aux droits fondamentaux l’obligation faite aux Français d’avoir des papiers d’identité nationaux et à jour, tout comme nous n’envisageons pas de faire référence à Dieu dans notre constitution. Comme on dit, “C’est une autre culture…”

Un pays d’handicapés (0)

2 700 000, c’est le nombre d’handicapés au Royaume Uni, ou en tous cas recensés comme tels, contre 570 000 en 1981 [1]. Pour se faire une idée, cela représente environ 4.5% de la population, contre moins de 1% en France ! [2]

Alors, explosion nucléaire ? Epidémie de grippe aviaire ? A moins que les 80€ d’indemnité chomage par semaine et pendant 6 mois maximum n’aient poussé un paquet de monde à demander les aides pour handicapés… Et le ministère du travail anglais ferme les yeux puisque cela permet à moindre cout de faire baisser le taux de chomage. Finalement, tout le monde est content…

[1] Source : Le Monde Diplomatique, octobre 2005
[2] Il s’agit des personnes bénéficiant de l’allocation adulte handicapé (AAH, chiffres de 1994). Source : FNORS

C’est ballot quand même… (82)

85 000 employés britanniques perdent tout ou partie de leur retraite

Le nombre d’employés britanniques ayant perdu, entre avril 1997 et mars 2004, tout ou partie de leur retraite après la faillite de leur entreprise, est estimé à 85 000. Selon la médiatrice, la responsabilité du gouvernement est engagée dans la mesure où il a encouragé les employés à souscrire à un fonds d’entreprise, sans les informer des risques encourus. […]

Il est aussi reproché au gouvernement d’avoir ignoré les mises en garde exprimées par des experts dès 1998, et d’avoir à plusieurs reprises autorisé les entreprises à diminuer la somme minimale qu’il est requis de verser dans les fonds, accroissant le risque encouru par les employés. […]

Stephen Timms, ministre de la réforme des retraites, a exprimé sa “compassion” pour les employés ayant perdu leur mise, mais souligné que son ministère rejetait l’accusation de mauvaise gestion et ne paierait pas la facture. “Affirmer que c’est au contribuable d’essuyer ces pertes (…) défie la logique. La responsabilité en revient aux entreprises”, a réagi le ministre travailliste.

Le Monde, 15/03/06

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